以下,语录第二原文
第二章长一点
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DEUXIÈME FRAGMENT
DE LA SOCIÉTÉ
La Société n’est point l’ouvrage de l’homme, elle n’a rien de commun avec l’institution des peuples. Cette institution fut une seconde association qui donna aux hommes un génie nouveau, de nouveaux intérêts. Obligés de se soutenir par la violence et par les armes, ils attribuèrent à la nature les besoins qui ne leur étaient venus que de l’oubli de la nature. Il fallut donner à ces grands corps politiques des proportions et des lois relatives, afin de les affermir… L’on s’accoutuma à croire que la vie naturelle était la vie sauvage. Les nations corrompues prirent la vie brutale des nations barbares pour la nature ; tandis que les unes et les autres étaient sauvages à leur manière, et ne différaient que de grossièreté.
La société politique n’a point, comme on l’a prétendu, fait cesser l’état de guerre ; mais au contraire elle l’a fait naître, en établissant entre les hommes des rapports de dépendance qu’ils ne connaissaient pas auparavant.
Tout ce qui respire sous la loi naturelle est indépendant de son espèce, et vit en société dans son espèce.
Tout ce qui respire sous une loi politique, ou une loi de force, est en guerre contre ce qui n’est point sa société, ou ce qui n’est point son espèce.
L’indépendance des êtres de même espèce entre eux est fondée sur les rapports ou sur les lois qui les unissent. Unis par ces rapports ou ces lois, ils se trouvent en état de force contre une autre espèce que la leur.
Les animaux de même espèce n’ont point formé de sociétés particulières, armées les unes contre les autres.
Les peuples cependant se sont armés contre les peuples.
Tous les êtres sont nés pour l’indépendance ; cette indépendance a ses lois, sans lesquelles ils languiraient isolés, et qui, en les rapprochant, forment la société. Ces lois dérivent des rapports naturels ; ces rapports sont les besoins et les affections. Ces besoins et ces affections ne donnent à aucun le droit de conquête sur les autres ; car cette conséquence détruirait son principe. Ils produisent ce qu’on appelle le commerce, ou l’échange libre de la possession.
Selon la mesure de leurs besoins ou de leurs affections, les animaux s’asso¬cient plus ou moins. On les voit presque toujours par troupeaux, si ce n’est que l’avarice de l’homme les effraie. Ils se rencontrent, sans se maltraiter ni se fuir. Le plus sensible, le plus intelligent de tous, l’homme, naît pour une société plus parfaite, pour des rapports plus étendus, pour des plaisirs plus vifs, et pour les délices de l’indépendance.
Les hommes forment donc une société naturelle qui repose sur leur indépen¬dance. Mais un peuple en corps (puisqu’il existe des peuples) forme une force politique contre la conquête. L’état social est le rapport des hommes entre eux ; l’état politique est le rapport des peuples.
On voit que les hommes, se traitant eux-mêmes en ennemis, ont tourné contre leur indépendance sociale la force qui n’était propre qu’à leur indépendance exté¬rieure et collective ; que cette force, par le contrat social, est devenue une arme à une portion du peuple pour opprimer le peuple entier, sous prétexte de le défendre contre ses membres et contre des ennemis étrangers.
Si tel fut l’objet du contrat social de conserver l’association, les hommes dans ce sens sont considérés comme des bêtes sauvages qu’il a fallu dompter. En effet, par le contrat, tous vivent armés contre chacun, comme une troupe d’animaux de diverses espèces inconnues l’une à l’autre et tout près de se dévorer. La sûreté de tous est dans l’anéantissement de chacun, au lieu qu’on la trouve si simplement dans leur indépendance.
Je crois pouvoir dire que la plupart des erreurs politiques sont venues de ce qu’on a regardé la législation comme une science difficile. De là, l’incertitude et la diversité des gouvernements. De pareilles idées devaient perpétuer les peuples dans l’esclavage ; car, en supposant l’homme farouche et meurtrier dans la nature, on n’imaginait plus d’autre ressort que la force pour le gouverner.
Néanmoins, comme dans la république l’intérêt d’un seul est protégé par la force de tous, et que tous et chacun sont, non point unis, mais liés par la pression, la république, par la nature de la convention, a fait un contrat politique, ou de force, entre chacun et tous, et ce contrat politique forme un pacte social. Mais quelle violence, quelle faiblesse dans ce corps dénué de liaisons, dont le mécanisme stérile est comme un arbre dont les racines et les branches suspen¬dues ne toucheraient pas le tronc ! Ces sociétés ressemblent à des traités de pirates qui n’ont d’autre garantie que le sabre. Ces brigands ont aussi un pacte social sur leurs navires.
On a mal appliqué le principe politique : il n’appartenait qu’au droit des gens, c’est-à-dire qu’il était de peuple à peuple. Cela même est une loi de nos institu¬tions : ce ne sont point les hommes, mais les États qui se font la guerre.
Il n’y a guère lieu de concevoir maintenant que les peuples, renonçant à leur orgueil politique, tant qu’ils seront régis par le pouvoir, se remettent sous la loi de la nature et de la justice ; que, venant à s’envisager comme les membres d’une même famille, ils retranchent de leur cité l’esprit particulier qui les rend ennemis, et l’amour des richesses qui les ruine. Les âmes bienfaisantes qui se livrent à ces illusions connaissent peu toute l’étendue du chemin que nous avons fait hors de la vérité. Ce rêve, s’il est possible, n’est que dans un avenir qui n’est point fait pour nous.
Il faut donc, sans chercher inutilement à mettre des rapports de société entre les peuples, se borner à les rétablir entre les hommes. Ces peuples, plus ou moins éclairés, plus ou moins opprimés, ne peuvent en même temps recevoir les mêmes lois. Il en est autrement d’une république où toutes choses ont une progression commune.
Cependant, un peuple qui se réforme et se donne des lois véritablement humaines, entouré de peuples inhumains, doit, pour la durée de sa propre harmonie, ôter de sa politique extérieure tout ce qu’il peut sagement en ôter sans compromettre l’État. Car un peuple qui se gouvernerait naturellement et renon¬cerait aux armes serait bientôt la proie de ses voisins ; et, si ce peuple renonçait au luxe et au commerce pour une vie simple, ses voisins s’enrichiraient de ses privations, et deviendraient si puissants qu’ils l’accableraient bientôt. Les maîtres qui les dominent auraient d’autant plus d’intérêt à le faire qu’ils auraient tout à craindre de l’exemple et de la population de cette société indépendante.